Il y a des livres qui vous illuminent. Il y a des paroles qui vous rassurent et vous projettent plus loin dans le même temps.
Je ne saurais dire comment est arrivé à ma connaissance ce titre. Je me souviens juste d'avoir croisé récemment le nom de son auteur dans l'Intrus de Jean-Luc Nancy.

Bailly est peut-être l'écrivain, le penseur, s'étant le plus intéressé à la ville. Non comme décor mais comme sujet.
Docteur en philosophie, professeur à l'École nationale supérieure de la nature et du paysage de Blois, son livre La Ville à l'œuvre n'a pourtant rien d'une leçon. Bien mieux que ça, c'est une promenade, une invitation à la flânerie, à la poésie, à envisager l'espace urbain comme une richesse pétulante.

Composé de petits textes hétéroclites, mêlant la vision globale d'un philosophe à des relevés minéralogiques attentifs, contemplatifs, ce livre m'a réjouit en m'offrant — enfin — un point de vue sur la ville qui ne soit pas celui des administrateurs ou autres «réalistes». Qui ne soit pas celui des architectes tout puissants ou violents promoteurs. Qui ne soit celui des laxistes ou autres passants-à-walkman.

Bailly nous parle d'architecture, de cérémoniels, de la banlieue, du souvenir individuel, du vivre-ensemble, du nom des rues, de l'histoire que contiennent les lieux, de l'esthétique, du phrasé… L'entremêlement de la pensée du savant avec la poésie du flâneur dessine un point de vue généreux et pointu. Une oasis pour celles et ceux qui cherchent à affermir leurs sensibilités ou mettre en branle leurs certitudes. Une traboule pour celles et ceux qui aiment la ville sans toujours comprendre les conditions de cette relation.

Pour n'en citer qu'un morceau, je reprendrai les premières lignes du texte La clairière, qui, il me semble, concerne de près les graphistes qui travaillent autour de la communication de territoires :
«Entre toutes les images, il n'en est peut-être pas d'aussi décevantes que celles de ces vignettes qui, dans les dictionnaires et les encyclopédies, prétendent donner l'idée d'une ville en face ou à proximité de l'article la concernant. Il s'agit presque toujours d'une vue panoramique, cherchant à fournir une vue d'ensemble, mais reproduite à un format très petit, parfois à la limite de la lisibilité. Et pourtant, malgré son impuissance à caractériser le lieu qu'elle définit, l'image trône dans une sorte de légitimité générique, certifiée par la légende. Le grain de réalité qui fait défaut à l'image, c'est dans le nom qu'il vient, et l'image suit le nom comme une ombre indistincte.
Cette même difficulté, cette même insuffisance, le voyageur les retrouve avec les cartes postales. Ce qu'il a vu, ce qu'il a ressenti, il en cherche l'image ressemblante sur les tourniquets d'un marchand de journaux ou de souvenirs, mais le plus souvent en vain. Tout, autour de lui, est plus vivant, plus déployé que ce qu'il voit sur les petits carton colorés où panoramas et monuments restent purement signalétiques et mornes. Dans la distance qui est celle du panorama ou du type, la ville n'existe pas vraiment, c'est comme si ce qui la signe demeurait vide et déserté. […]

L'expérience d'une ville est tout autre : elle brûle les vignettes et les cartes postales, elle détruit la sécurité des points de vue imprenables, elle dissout ses contours et noie ses visiteurs. Connaître une ville ou tout au moins l'apprendre, en effet, c'est la pénétrer, la toucher, c'est entrer dans sa matière même, et c'est dissoudre le panorama, l'irréalité du panorama pour plonger dans la densité kaléidoscopique d'un fondu enchaîné discontinu, aux rythmes perpétuellement changeants.»


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L'édition de 2001 est produite par les Éditions de l'Imprimeur, collection Tranches de villes.