Discrimination visuelle positive et inégalité des chances



Comment ne pas être choqué par le vomi d'hypocrisie que révèle la carte d'invitation aux Portes ouvertes 2010 des Arts déco de Paris. Dans une école où la majeure partie des personnes de couleurs ne sont pas des étudiants mais des employés à la sécurité ou à la propreté, où les élèves et les enseignants sont principalement d'origines sociales favorisées ou très favorisées, il n'y a plus que la com’ pour encore chercher à nous faire croire à un semblant d'«égalité».

Pour représenter les 10 sections, les Arts déco n'auront pas eu de scrupules à aller chercher et à exhiber une des seules métis, un des seuls noirs, une des seules bien portantes, un des seuls typés asiatiques. Il ne leur manque que l'arabe… pas de chance il n'y en avait pas.

Ainsi, avec ce vernis multicolore, la séculaire reproduction des élites peut bien se poursuivre, en toute quiétude.

Je vous renvoie vers deux récents articles de l'Observatoire des inégalités (via Rezo).
— «Des grandes écoles pour enfants fortunés» démonte la pseudo ouverture des grandes écoles à toute la population — en prenant comme exemple la Fémis.
— «Les paradoxes de l'égalité des chances» nous rappelle encore, 46 ans après Les héritiers. Les étudiants et la culture de Bourdieu et Passeron, que cette égalité ne peut rien face aux profondes inégalités sociales qui subsistent.

Enfin, je complète par un autre article sur l'égalité des chances, issu du fameux et cinglant Dictionnaire collectif de la langue de bois et des concepts opérationnels de la SCOP d'éducation populaire Le Pavé.


Après avoir éliminé Robespierre, la réaction thermidorienne de 1795 met fin à la révolution et à l’idéal d’une société dans laquelle l'égalité serait réalisée. Mais comment consacrer le retour de l’inégalité, de l’argent, de l’aristocratie, de la fortune, de la propriété sans que le peuple ne reprenne les armes ? Comment abandonner l'égalité sans que cela ne se voie ? En l’appelant : « l’égalité des chances ». L’égalité des chances est le mot qui veut dire « Inégalités». Tels le lapin et la tortue, nous sommes donc « égaux » sur la ligne de départ. Nous avons virtuellement les mêmes « chances ».

En entrant à l’école, Bastien dont le père est banquier, et Mohammed, dont le père est chômeur ont donc les mêmes « chances ». Il est évident que si Bastien intègre une grande école et Mohammed ne dépasse pas la troisième professionnelle, ce n’est que le résultat de leur mérite propre. L’un n’a pas su, ou pas voulu utiliser les « chances » que l’on avait mises à sa disposition en égale proportion avec l’autre. Quand l’un et l’autre doivent raconter leurs vacances dans une rédaction, c’est un pur hasard si les parents de Bastien et le professeur possèdent la même culture, partagent les mêmes codes, les mêmes modes de vie, et aiment tous les deux les mêmes vacances: marcher dans le Cantal plutôt que de s’entasser au camping des flots bleus et de faire du baby foot au café de la plage. Ou encore de rester jouer au foot tout l’été sur la dalle de l’immeuble. Si la rédaction de Bastien (à qui sa maman a appris à reconnaître les chants d’oiseaux dans les forêt du Cantal) reçoit une meilleure note, c’est parce que Mohammed n’a pas voulu faire l’effort de raconter dans des termes joliment et littérairement tournés ses journées d’été occupées à traîner dans son hall d’escalier. Un tel sabotage de ses « chances », une telle mauvaise volonté, une telle paresse intellectuelle méritent une sanction. Un tel refus d’utiliser les « chances » que l’école républicaine a mises à sa disposition, mérite une mauvaise note.

Comme tous ces mots à dépolitiser les rapports sociaux, « l’égalité des chances » est une machine à nous faire croire que cette société offre à tous une égale opportunité et que nous sommes seuls responsables de notre situation. C’est le modèle Américain du « land of opportunity ». Il n’y a plus de patrons pour nous exploiter, seulement des individus qui ont voulu ou pas saisir leurs chances.

Transformé en loi, ce principe de l’égalité des chances légitime l’abjection des « grandes écoles » dans lesquelles se côtoie et se reproduit « l’élite républicaine » qui est essentiellement le refuge de la noblesse et de l’aristocratie reconstituées. Depuis la loi sur l’égalité des chances, un quota de pauvres et d’étrangers (pardon… de « minorités visibles ») est autorisé à rentrer dans ces écoles. Mais la question n’a jamais été de savoir combien y entraient, mais combien en sortaient. Au nom de l’égalité des chances, tout le monde rentre dans l’entonnoir de l’école, mais seulement 1% de fils d’ouvriers en sortent avec un diplôme universitaire quant la France dénombre 30% d’ouvriers en 2005 au sein de la population active. Jetons un voile pudique sur les 99 autres… Le problème de l’égalité n’est pas de rentrer mais de sortir égaux, pas de démarrer mais de finir égaux. C’est une toute autre tâche !