Workshop à l’IAV d’Orléans, compte-rendu

Du 1er au 4 février nous sommes intervenus à l’École supérieure d’art et de design d’Orléans (qui est en train de changer de statut et de perdre son nom d’Institut d’arts visuels – IAV), avec des étudiants de 3e année Design graphique (DNAP et DNAT confondus).

Petit rappel du sujet : chacun des étudiants est invité à piocher dans sa culture personnelle un-e auteur-e (écrivain, scientifique, artiste…), de préférence appartenant au passé et qu’il apprécie tout particulièrement. L’objectif du workshop est de produire un ou des objets graphiques prolongeant ce goût vers les autres (prenant comme cadre l’école et le «public» que sont ses étudiants), en s’appropriant subjectivement un bout de l’œuvre de son auteur-e et en utilisant les supports et techniques que l’on juge les plus pertinents.
Une fois que chaque étudiant a arrêté son choix d’auteur-e, nous avons rajouté une règle du jeu supplémentaire : ce travail est à réaliser en binôme! Et c’est ainsi que deux auteur-e-s (ou trois), ne s’étant sans doute jamais croisés, vont venir dialoguer au sein du même objet graphique. Enfin nous avons insisté pour que ces projets «vivent» et soi réellement partageable/diffusable.


Le démarrage du workshop a été un peu poussif, et il aura fallu deux jours avant que s’installe une ambiance de travail plus dynamique et que des formes arrivent. Nous partageons sans aucun doute une part de responsabilité dans ce lent décollage, peut-être que le sujet, très ouvert, a déboussolé les étudiants (en DNAT les sujets sont nettement plus cadrés). Peut-être que la demande préparatoire est à éliminer de nos sujets (nous leur demandions de choisir leur auteur-e à l'avance et de ramener des documents en lien), peu d’étudiants ayant joué le jeu. Peut-être n’avons-nous pas assez communiquer d’enthousiasme en voulant «laisser faire» les étudiants, les laisser gamberger un peu seuls avant d’intervenir dans leurs réflexions. Au final – et contrairement à ce qui c’était passé dans le workshop de Recyclart – nous avons été plus volontaristes à partir du troisième jour en devenant partie prenante de chaque projet, en s’associant à chacun des groupes pour y injecter diverses idées graphiques – d’avantage une collaboration qu’un simple encadrement.

Arrivés aux rendus nous sommes plutôt heureux des différentes formes qui ont émergé et du plaisir qu’ont pu prendre les étudiants. Voici les travaux :

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Pauline Baudon et Théo Ampilhac
Auteurs choisis : Maynard James Keenan et Daniel Jègoû



Maynard et Jègoû sont tous deux quelque peu excentriques, mais chacun à leur manière. Maynard est un chanteur de métal, il a connu des changements de look étonnants et récemment il a pris la casquette d’exploitant viticole (ses étiquettes donnent le ton). Jègoû n’a pas grand chose à voir, son truc c’est plutôt la peinture, très très haute en couleurs, kitch à l’excès, et ses œuvres comme ses propos quasi-mystiques sont difficiles à appréhender au premier degrés.
Les relations qu’entretiennent Pauline et Théo avec ces deux personnages sont à la fois un peu moqueuses et fascinées.



L’idée de les faire dialoguer a été pris au mot et ce sont quelques unes de leurs citations qui sont réunies dans ce cahier de posters. La composition des cahiers de deux feuilles est aléatoire (au total 4 feuilles, donc 8 citations, sont réunies), les combinaisons des «demi-citations» ayant tout particulièrement été réfléchies.
L’impression s’est faite sur papier fluo* d’un côté, blanc de l’autre, et deux registres typographiques sont mis en œuvre (un pour chaque auteur). Le tout prolonge donc l’impayable de leurs pensées en en faisant des affichettes grotesques à souhait qui, au sein du cahier, forment des combinaisons d’énoncés complètement truculents.
*Daniel Jègoû s’illustre notamment pour son usage systématique de la peinture fluo.

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Kristel Gaudet et Steren Huellou
Auteurs choisis : Barry White et Tomi Ungerer



Kristel et Steren ont toutes deux choisi des artistes ayant marqué leurs jeunesses ; les parents de Kristel écoutaient très souvent Barry White et Steren a lu et relu les classiques d’Ungerer. Ces relations ont un petit quelque chose de dérangeant quand, quelques années après, elles s’attardent sur les paroles «chaudes» et le personnage libidineux de White, ou sur les dessins douteux contenus dans les livres pour enfants d’Ungerer (faisant écho avec son œuvre érotique).



Comme le rapprochement entre le crooner charnel et le dessin «naïf» provoque, de fait, une ambiguïté doucement malsaine, le travail de Kristel et Steren s’est développé de manière toute simple, en collant un bout d’illustration à un bout de chanson (paroles).
Pour support elles ont choisi des cartes, faciles à diffuser et, dans l’idée, à déposer au rayon jeunesse d’une librairie.
Pour la ré-utilisation, l’adaptation et l’impression de dessins d’Ungerer elles ont travaillé avec du linoleum ; pour l’impression des paroles elles ont utilisées un tampon typo 5 lignes (à composer soi-même). L’esthétique rendue est assez brute mais l’aspect «artisanal» de l’objet lui donne pas mal de charme.
Une bonne centaine de 4 cartes différentes étaient disponibles au moment du rendu.

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Adeline Marteil et Min-a Kim
Auteurs choisis : Claude Monet et Eugène Atget



Min-a et Adeline sont allées chercher des artistes participant au tissage de leurs propres souvenirs. Adeline vient d’une petite ville proche de Giverny (la ville où se situe «la maison et les jardins de Claude Monet» et tout l’attirail touristique qui va avec) et nombreux sont les paysages que Monet a pu peindre et qui des années après ont été fréquentés «réellement» par Adeline (Giverny, la Gare St-Lazare, Étretat…).
De son côté, Min-a a déjà pu arpenter plusieurs fois les rues et ruelles parisiennes et les photos d’Atget participent explicitement, chez elle et chez de nombreux autres promeneurs, à une image «idéalisée» et pittoresque du souvenir que l’on se fait de cette ville.
Ainsi leurs relations à ces images nous interrogent sur la manière dont peuvent se constituer la mémoire que l’on tient des lieux et la façon dont s’enlacent expériences vécues et images d’Épinal.



Elles ont mis en image ce ressenti en travaillant avec le collage, reprenant des bouts de reproductions des œuvres de Monet et Atget qui côtoient des bouts de leurs propres photos. En résulte de nouvelles «œuvres», un peu fragiles, incertaines, jouant le jeu de l’exemplaire unique qu’appuient les marie-louise. Les collages en eux-mêmes n’ont rien de très précis à raconter, comme les souvenirs ils sont flous et chacun peut y accrocher un peu de sa propre mémoire.


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Eva Calhoun et Christiane Nagel
Auteurs choisis : Jim Morrisson et un anonyme allemand (poésie populaire)



Christiane et Eva ont travaillées avec une contrainte «extérieure» au sujet pour nous faire partager les deux poèmes qu’elles ont choisi. Christiane, fraichement débarquée d’Allemagne pour un échange à l’IAV, parle un français et un anglais balbutiants tandis qu’Eva ne sait guère mieux s’exprimer en anglais et aucunement en allemand. Aussi, cette rencontre un peu «forcée» les a amenée à penser un objet qui nous parle des langues et qui se destine notamment à tous les Erasmus de l’école.



Cette envie a pris la forme d’un petit cahier réunissant quatre versions de chacun des deux poèmes choisis (en allemand, français, anglais et italien). Ces versions se brouillent, imprimées sur feuilles transparentes (Rhodoïds) elles se confondent.
Un rabat permet de séparer les pages ; on peut lire une page en plaçant le rabat par-dessous.
Pour que l’objet passe de poche en poche, soit gardé et pose une certaine préciosité, sa taille est particulièrement petite.
L’appropriation des deux textes s’est notamment faite via l’écriture manuscrite, plus maladroite ou crispée quand Eva ou Christiane écrivaient les mots d’une langue qu’elles ne comprenaient pas. Et quoi de plus évident, pour des graphistes, que de travailler avec l’écriture pour nous parler des langages?
Une grosse cinquantaine d’exemplaires ont été fabriqués et donnés aux étudiants.

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Annalinda et Gabrielle Perraro
Auteurs choisis : Kurt Vonnegut et Jaron Lanier



Comme Christiane, Annalinda et Gabrielle sont étudiants en Erasmus et ils ont fait leur rentrée le mardi 1er février à l’IAV – soit au premier jour du workshop! Tous deux étant italiens, nous les avons fait travailler ensemble par simplicité.
Gabrielle étudie, en Italie, non pas le graphisme mais les nouveaux médias ; Lanier est notamment l’auteur d’un manifeste sur la cybernétique que Gabrielle a choisi d’éditer dans le cadre du workshop.
Annalinda a elle choisi un écrivain qui a la particularité de passer régulièrement par le dessin au sein même de ses histoires, notamment dans Breakfast of Champions (exemples 1 et 2).



Leur idée a été d’associer les Rules of cybernetic totalism de Lanier avec un jeu texte-image se rapprochant de l’esprit caustique de Vonnegut, ceci au sein d’un tract (A3 plié) facile à produire à de nombreux exemplaires.
Ils ont également pris le soin de créer au passage une typographie à la fois «techno» et gardant l’irrégularité du dessin à la main – ce qui crée une cohérence avec le style des illustrations. La composition reprend l’idée du desktop, chacun des articles étant composé dans une fenêtre, et les différents éléments flottent un peu comme dans le cyber-espace.
Deux versions du tract ont été fabriquées, anglais et français – traduction Google!

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Noémie Aufragne et Éline Tourenne
Auteurs choisis : Henry Darger et Edgar Poe



Noémie retient de Darger un univers naïf par son trait et ses couleurs mais bien étrange et dérangeant par ses sujets. De son côté Éline entretient un goût tout particulier pour The Raven (Le Corbeau) de Poe, poème déployant une scène mystèrieuse et une sorte de musique obsédante.



Elles ont au final proposé deux objets. Le premier est une série d’images reprenant un élément du vocabulaire de Darger (un Sacré-cœur, Darger était très religieux) sur lequel, autour duquel, tourne un corbeau. Corbeau qui n’est plus forcément noir, ce qui est un lointain écho aux composition oniriques et colorées de Darger.
C’est dans la répétition que se crée ici quelque chose de trouble et perturbant, chose qui pourtant est très attirante par sa qualité plastique.
Le Sacré-cœur est une impression laser sur papier à dessin, les corbeaux sont imprimés par tampon.



Travaillant principalement à partir d’essais plastiques, une série de corbeaux a progressivement vu le jour.
Cette série très expressive a cette fois été utilisée en étant photocopiée puis dispersée/collée dans toute l’école, dans des coins, des recoins, perchée aux plafonds… posant une présence volatile à la fois vraisemblablement inoffensive et pourtant étrange – ce qui fait aussi référence aux Birds d’Hitchcock.

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Anaïs Jouin, Justine Romuald, Guillaume De Ubeda
Auteurs choisis : Charles Bukowski, Kappauf et Jiddu Krishnamurti



Le nombre des étudiants étant impair, ce groupe s’est ainsi composé de trois personnes. Et c’est comme ça que l’auteur des Contes de la folie ordinaire, l’excentrique créateur du magazine de mode à 1€ et l’éducateur-philosophe indien ont été amenés à se rencontrer.



C’est à partir de trois bouts de textes que Guillaume, Justine et Anaïs ont travaillé. Trois espèces de «leçons» pourrait-on dire.
L’idée leur est venue assez intuitivement de faire superposer ces textes afin d’en créer un objet multi-couches, ne cherchant pas à faire advenir des points communs tirés par les cheveux entre leurs trois auteurs mais en affichant, en grand, une part de leurs pensées respectives.
Couches interchangeables. Couches superposables aussi. À partir d’un travail typographique digne de l’Oulipo, quelques mots de chaque énoncé ont été mis en relief et découpés/répartis sur les trois feuilles, amenant une quatrième «leçon» que l’on peut lire si l’on s’éloigne de l’affiche : «L’époque semble dévoiler une société sans bouche, sans couleur, et aux émotions in the closet. Les esprits sont prisonniers des gourou.»
En se rapprochant c’est l’énoncé placé en tête que l’on peut lire.

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Voilà donc sept propositions hétéroclites et iconophiles, les manières de s’approprier le sujet ayant été très ouvertes et nombreuses. Une partie des étudiants a réussi à intégrer leurs propres écritures formelles tandis que d’autres se sont essayés à des techniques qu’ils ne connaissaient que trop peu voire pas du tout.
En rédigeant ce compte-rendu je m’aperçois qu’aucun des auteurs choisis n’est une femme, ce qui en soi est un peu dérangeant (je trouve) et surtout paradoxal au regard de la composition des bancs – en grande majorité des filles. Peut-être qu’un prochain sujet de workshop sera l’occasion d’intégrer une tonalité féministe?
Un grand merci également à Paule Pousseele pour cette belle invitation, expérimenter des formes pédagogiques est pour nous très stimulant.

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Mention spéciale
À Guillaume Grall que nous avons «côtoyer» avec plaisir durant ces 4 journées et qui mérite bien le prix du «mur le mieux investi».



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