Les sentiers de l'utopie
Adrien Zammit - dimanche 2 décembre 2007 - Politique
Isabelle Fremeaux et John Jordan ont entamé en août 2007 un périple de 6 mois pour rencontrer des modes de vie alternatifs, utopistes, anti-capitalistes.
«Les Sentiers de lUtopie sont ces chemins tracés par de réalistes rêveurs, des idéalistes lucides dont la vision dun monde meilleur nest pas projetée dans un inatteignable avenir, mais créée chaque jour, ici et maintenant. Ces chemins ne sont pas des autoroutes crevant les forêts pour arriver plus vite et en ligne droite à une destination décidée à lavance ce sont des passages suivant les contours des vallées, longeant les rivières et les désirs de ceux qui les construisent.»
Vous pouvez lire la suite de cette présentation ici.
Leur blog retransmet une belle partie de ces splendides découvertes qui ne peuvent laisser indifférent. Et je ne peux m'empêcher de vous proposer un copié-collé de leur passage à Can Masdeu près de Barcelone, agrémenté de photos disponibles sur le Flickr des utopiens espagnols.
«Les Sentiers de lUtopie sont ces chemins tracés par de réalistes rêveurs, des idéalistes lucides dont la vision dun monde meilleur nest pas projetée dans un inatteignable avenir, mais créée chaque jour, ici et maintenant. Ces chemins ne sont pas des autoroutes crevant les forêts pour arriver plus vite et en ligne droite à une destination décidée à lavance ce sont des passages suivant les contours des vallées, longeant les rivières et les désirs de ceux qui les construisent.»
Vous pouvez lire la suite de cette présentation ici.
Leur blog retransmet une belle partie de ces splendides découvertes qui ne peuvent laisser indifférent. Et je ne peux m'empêcher de vous proposer un copié-collé de leur passage à Can Masdeu près de Barcelone, agrémenté de photos disponibles sur le Flickr des utopiens espagnols.
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Nombre des projets que nous avons visités jusque là me semblent faire figure de passionnants laboratoires. Il suffit par exemple dexaminer lancienne léproserie accrochée à la montagne surplombant Barcelone et qui abrite 25 Utopiens, pour comprendre la force potentielle dun tel processus de ré-apprentissage. Limmense bâtisse, abandonnée pendant plus de 50 ans, est squattée depuis décembre 2001. On imagine létat du bâtiment et des jardins alentours lorsque le petit groupe initial décida de sy installer A la vérité, lorsque lon se promène sur les dizaines de terrasses croulant sous les légumes ou dans limmense maison confortable il est difficile dimaginer un bâtiment quasiment sans fenêtre au toit troué, sans eau, sans électricité, envahi par les broussailles. En seulement 6 ans, les habitants de Can Masdeu ont refait le toit; remis des carreaux à toute les fenêtres; installé lélectricité; rouvert les mines deau et installé leau potable dans toute la maison, ainsi quun système dirrigation dans toute la vallée grâce au déblaiement de bassins pour collecter leau de pluie; débroussaillé des dizaines de terrasses pour y planter des jardins potagers (dont beaucoup ouverts aux habitants du quartier); construits deux chauffe-eau solaires, dont un pour la douche; construit une boulangerie et son four à pain; une brasserie pour produire leur bière artisanale; sont devenus autonomes en légumes toute lannée
Pas un des habitants nétait jardinier, plombier, maçon ou boulanger. A chaque fois que jai demandé, pétrie dadmiration, comment ces compétences avaient été acquises, on ma toujours répondu avec un haussement dépaules signifiant lévidence: «On a appris sur le tas. On a demandé autour de nous, on a essayé, on sest trompé, on a refait, on a appris.»
En grande partie afin de vivre avec le moins dargent possible, les habitants de Can Masdeu ont pris à bras le corps toutes les tâches nécessaires pour rendre leur environnement vivable et agréable, en se détachant progressivement de la dépendance à la société de consommation. La plupart de ce qui fait le tissu du quotidien (la nourriture, la production dénergie, la plomberie, la maçonnerie, lélectricité mais aussi linformation ou la culture) ne sont plus des services à acheter mais des savoirs partagés.
Il nest pas question datteindre lautosuffisance pour vivre détaché du monde, mais de choisir ses propres réseaux dinterdépendance afin dêtre autant que possible maître de ses choix et de sa vie.
Le groupe est ainsi inséré dans une série de réseaux à géométrie variable lui permettant de perdurer et de sépanouir.
Ayant mis à disposition des jardins en terrasses libérés sur toute la vallée pour les résidents locaux désireux de produire leurs propres légumes (en posant pour seules conditions que la production soit biologique et que lorganisation se fasse par assemblées non hiérarchiques), les habitants de Can Masdeu coordonnent plus de 80 jardiniers locaux.
De même, un centre social, le PIC, a été ouvert dans lune des plus grandes pièces de la maison. Entre le bar et le magasin de vêtements gratuits, des canapés et petites tables rendent enclins à la discussion et à léchange, tandis quune librairie fournie pique la curiosité. En plus des tracts en tout genre sur les luttes politiques locales et régionales, et des tonnes dinfos sur la vallée, on y trouve des étagères entières de livres (classés !) sur le capitalisme, lanarchisme, lécologie, le féminisme ainsi quune documentation très importante sur lagro-écologie.
Chaque dimanche, le PIC souvre et, autour dun repas préparé à tour de rôle par les habitants de Can Masdeu, un programme dateliers est proposé. Mariana, magnifique portugaise polyglotte et lune des co-ordinatrices du programme, explique «Nous essayons toujours de mêler des ateliers dinformation politique au développement personnel : la danse, la musique, le chant, le yoga. Pour moi, lun et lautre vont nécessairement ensemble. On ne peut être un humain complet que si lon nest pas équilibré entre soi-même et le Monde». Il est très fréquent que plus de 100 personnes passent au PIC sur une même journée, déjeunant dans le patio tout juste refait lors dune journée de travail collectif, avant daller sinformer sur le réchauffement climatique, le squat ou les politiques dimmigration. Bien entendu, hormis le délicieux repas bio à 3,50 euros ou les gâteaux faits maison à 1 euro, toutes les activités ici sont gratuites. «Ce que lon peut apprendre ici na pas de prix» remarque Mariana. Arnau, un vétéran faisant partie du groupe initial de squatters, renchérit «en règle générale nous préférons les échanges : travail dans le jardin, massage, peinture murale, peu importe. Nous essayons de nous détacher de la monétarisation des relations sociales.»
A ces réseaux locaux sarticulent des réseaux déchanges plus élargis. Lun des plus importants est le Réseau Catalan dAgroécologie, défendu avec enthousiasme par Guilhem, dont le visage émacié à la barbe Lincolnienne séclaire dès quil en explique les prémisses. «Au niveau le plus basique, cela permet de créer des liens dentraide. Par exemple hier, nous sommes allés cueillir 800 kilos de pommes pour nous-mêmes chez un producteur faisant partie du réseau. Cela arrange tout le monde : lui car il peut finir la saison plus rapidement (cela nétait plus rentable pour lui de payer des cueilleurs pour les derniers arbres) et nous, car ainsi on a des pommes pour tout lhiver, sans avoir à payer. On fait ça aussi avec les olives, et dautres fruits et légumes en fonction des besoins de chacun.»
Mais cela va plus loin. Le réseau est aussi pour échanger des infos, et défendre une agriculture biologique et soutenable, respectant la souveraineté alimentaire pour tous. Cest une organisation foncièrement politique qui appréhende ces thèmes sous langle de la lutte et de la résistance. Guilhem a ainsi été très impliqué dans la lutte contre les OGM.
Au final, les enseignements du réseau sont mis en pratique directement «à la maison», devenue autonome en légumes toute lannée, et partagés avec tous durant la journée collective au jardin une fois par semaine, où tous participent. Ce partage des savoirs est fondamental. Ainsi il en va de même avec la fabrication du pain. Une équipe de véritables boulangers sest formée au départ sous lenseignement dun artisan boulanger du quartier. Kike, un jeune historien de lanarchisme et apprenti boulanger explique : «Felipe nous a enseigné la manière traditionnelle de faire du pain au levain ; il est lui-même issu de quatre générations de boulangers. Pour moi, cest très important de pouvoir maintenir ce type de traditions, qui ont tendance à se perdre.» Ainsi chaque vendredi, l «atelier pain» est ouvert à qui veut, et Kike, Juan ou parfois même Felipe lui-même, montrent aux intéressés comment faire une fournée de 40 pains dans le four fait maison.
Lexemple pourrait être dupliqué sur la fabrication artisanale de la bière, des savons, la pratique de la danse ou du yoga
Il ny a pas ici dexpert hyper spécialisé mais des praticiens aux compétences multiples, la plupart acquises au gré des besoins collectifs ou des intérêts de chacun. Par conséquent, lapproche du travail à Can Masdeu est indubitablement moins aliénante que celle dune société productiviste où le travail est le contraire des «loisirs», conçu ainsi comme une tâche punitive et pourtant essentielle, où il faut vouloir «travailler plus pour gagner plus (pour accumuler plus)» sans quoi lon est nécessairement un paresseux, un parasite. Dans cette vision du travail choisi, où lon se donne les moyens de faire ce que lon juge nécessaire pour le bien-vivre de la communauté dans laquelle on vit, plutôt que pour satisfaire un «supérieur» (terme intéressant pour indiquer un chef!) dans la visée dobtenir argent et/ou statut, le travail nest plus un stade intermédiaire où lon exécute des tâches dans le but dobtenir autre chose, mais bien une activité à «satisfaction directe». Et ce nest pas pour dire que les gens travaillent peu. Can Masdeu est tout le contraire dun «repère de paresseux». Simplement le travail y a du sens, tout comme sa rétribution qui nest pas en monnaie sonnante et trébuchante mais dans lappréciation ou lutilisation de ce qui est produit ou offert.
Grâce à la mise en commun des jardins et de la maison, les habitants de Can Masdeu nont besoin que de très peu dargent personnel pour vivre. Hormis la contribution mensuelle et individuelle de 25 euros afin dacheter les denrées alimentaires impossibles à produire dans les jardins (farine, riz, sucre, etc), tout est fourni «gratuitement». «On peut très bien vivre ici avec 200 euros mensuels» nous dit Arnau.
Parallèlement, collectivisation dans le squat Barcelonais nest pas synonyme de déni de lindividu. On est loin de lURSS ! Il y a au contraire ici un véritable équilibre entre le respect des besoins individuels et le collectif. Si la grande majorité de la maison est commune, chaque membre a sa chambre individuelle. Au niveau de lorganisation du temps, chacun sengage chaque semaine à deux jours de travaux collectifs (dont un au jardin) et à cuisiner un repas pour tous. Comme le résume Guilhem: «Lorsque lon est de cuisine, ça prend environ 4 heures, entre récolter les légumes, les laver, les couper, les cuisiner. Mais alors pendant toute la semaine tous les autres repas sont prêts, à lheure, sans que jaie besoin dy penser. Pour moi cest un super compromis.» Une fois par mois chacun doit aussi participer à la préparation du repas pour le centre social ainsi que sengager à des travaux de nettoyage de la maison. Le reste du temps, chacun est libre. Certains travaillent à temps partiel (ainsi Jony et Alvaro sont rédacteurs dans un magazine anti-consommation; Fraggle est musicienne; Noa, actrice), dautres sont très impliqués dans des luttes locales (notamment sur les squats), dautres encore soccupent de leur enfant.
Lors de la visite guidée, organisée comme chaque dimanche, un visiteur posa une question attendue «Mais comment faites vous si lun de vous ne fait rien? Comment forcez-vous les gens à travailler?» Bryan, un jeune Américain à Can Masdeu depuis le début de laventure, fit une réponse inspirante: «Il faut accepter que tout le monde ne travaille pas autant, pour diverses raisons. Si jamais quelquun exagère vraiment, nous en parlons. Notre expérience ici est que personne naime être un parasite, car cela signifie aussi ne pas vraiment faire partie du groupe. Nous sommes des animaux sociables, nous les humains!»
Can Masdeu semble ainsi être une belle illustration de la théorie qui veut que les rétributions matérielles ne soient pas la seule manière pour que les gens travaillent. On peut en effet entrapercevoir «une moralité basée sur lentraide et la solidarité, se développant afin de produire une satisfaction dans le travail pour le bien de tous» (Marshall, 1993 : 656). Il apparaît aussi que sexemplifie ici la notion purement anarchiste que lorsquil ny a pas coercition, il est possible de trouver un équilibre où le travail se trouve effectué de manière volontaire car, distribué selon les intérêts de chacun et de manière juste, il devient source de plaisir plus que de tourment, tandis que les travaux les plus pénibles sont partagés entre tous.
Au final, on peut se demander avec Marshall si peut-être «il en va de la société comme du corps : la santé dune communauté libre pourrait bien se mesurer au nombre de parasites quen tant quorganisme elle peut supporter sans disparaître». (1993 : 657)
Néanmoins il me semble que Can Masdeu est une communauté en pleine santé non parce quelle supporte un grand nombre de parasites, mais justement parce quil y en a si peu : limplication de tous est réelle et visible. Alors que jai entendu si souvent dire que la «nature humaine» exige leaders et hiérarchie pour ne pas sombrer dans le chaos, car sans coercition, il est évident que personne ne travaillerait, Can Masdeu me rend lespoir, et ça cest déjà un peu lUtopie.
Isabelle Fremeaux, John Jordan, le Laboratoire de lImagination Insurrectionelle.
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En plus du site internet, Les sentiers de l'Utopie vont amener leurs auteurs à l'édition d'un livre aux chouettes éditions Zones, la réalisation d'un «faux» documentaire et la mise en place d'une série d'ateliers.