Ticket chic ticket choc

En 1981 est confié à l'agence Ecom (groupe Havas) la tâche de faire décoller la RATP. L'agence de publicité va faire subir un tournant radical à l'entreprise publique de transport et la campagne va connaitre un franc succès.

Jusque là, les campagnes d'affichages vantaient les qualités réelles de l'entreprise (notamment face à la voiture) mais cela ne semblait plus suffire pour attirer d'avantage les parisiens. On a alors recherché un effet de mode et ainsi est créée une image forte et originale mettant en avant le ticket jaune et sa bande marron. On a créé une image de «marque» pensant que l'image d'une institution publique ne pouvait revendiquer le dynamisme nécessaire.

Cette réussite est sans doute, en partie, à l'origine de ce qui fait la médiocrité actuelle de la communication des institutions publiques qui se sont rabattues sans moufter sur le modèle de la publicité commerciale – c'est sans doute pire car en dépensant des sommes colossales elles doivent être persuadées d'être «en avance».

Quand j'emploie la terme de «médiocrité» ce n'est pas pour juger de la qualité visuelle des images produites mais pour souligner la confusion faite entre les usagers et les consommateurs que ce type de communication implique. On s'adresse à nous pour nous vendre quelque chose alors même que la raison première d'un service public en France devrait être d'améliorer notre qualité de vie. Ainsi, une entreprise publique devrait s'adresser à ses usagers comme à des citadins, des habitants de l'espace public et à fortiori des citoyens. Jean-Pierre Grunfeld utilise à ce sujet le terme de «citadin-citoyen».



Je vous glisse un large extrait d'un article de Delphine Masson pour le magazine Stratégies (avril 2000), au sujet de l'évolution de la communication de la RATP. (Je me permets de souligner certains passages.)

De tout temps, la publicité s'est avérée primordiale pour la régie des transports qui, en parallèle, a cherché à améliorer son service, à rénover ses stations et à égayer ses couloirs par des expositions, des spectacles ou des animations commerciales. Ses premières campagnes, au départ, n'avaient pourtant qu'un objectif: informer. Au début des années 70, elles présentent une entreprise qui élargit son offre, prolonge des lignes et innove en lançant, entre autres, les péages automatiques. Elles sont également purement commerciales. La RATP cherche à augmenter son trafic et ses recettes. En lançant la Carte orange, en 1975, avec une affiche signée Ecom, elle réussit son pari. Cette année-là, quelque trois millions de coupons mensuels sont vendus. Un an plus tard, ils seront au nombre de onze millions! En 1978, la RATP décide d'affronter son principale concurrent, l'automobile. La régie se présente alors comme «La deuxième voiture». À son trousseau, sont attachées les clefs de ses trois modes de transport: le bus, le RER et le métro. Elle met en avant ses avantages avec des slogans type «Adieu volant, adieu tracas», ou «Oubliez de l'entretenir». «Cette campagne a accompagné de constantes prises de marché» , se souvient Françoise Bellanné, responsable de l'unité Image et Publicité de la régie. Mais, au début des années 80, le besoin d'évoluer se fait sentir. «Les publicités de "La deuxième voiture" développent des arguments rationnels, comme la rapidité ou l'économie, qui ne suffisent pas à lever les freins psychologiques» , précise-t-elle. Pour le consommateur, métro et bus restent destinés à ceux qui n'ont pas le choix, aux fauchés. Les publicités évoluent donc, faisant du métro un lieu «extra», «génial» ou «super», fréquenté par des branchés.

Priorité à l'usager
Cependant, la communication doit aller encore plus loin. Les équipes d'Ecom ont alors pour mission de créer une marque. Ils vont donner naissance à une saga publicitaire retentissante, dont le héros n'est autre que le ticket jaune de la RATP. Il s'affiche comme une marque «de choix» ou «de goût», remplaçant le crocodile d'une chemise Lacoste, ou le chewing-gum d'un paquet d'Hollywood. Il s'invite sur les affiches de différents annonceurs. Les publicités Ricard, Loïs, Kindy ou Printemps sont détournées par des graffitis et des bombages, plutôt novateurs et subversifs, autour des slogans «Un ticket, sinon rien», ou «Sur sa peau était marqué ticket». Enfin, le ticket joue les stars, avec la célèbre comédie musicale «Ticket chic, ticket choc». C'est le premier film publicitaire de la régie. «Difficile d'utiliser un média national quand on n'est présent qu'en Ile-de-France» , explique Françoise Bellanné. La saga prendra fin au début des années 90, avec l'arrivée de Christian Blanc à la tête de la RATP. Ce dernier mène, tambour battant, une vaste réorganisation interne. Son objectif: placer les hommes au cœur de l'entreprise, pour privilégier la relation aux usagers, devenus des clients. Ce changement se traduit par une remise à plat de l'identité visuelle et de la communication. Le bleu-vert remplace le jaune sur le ticket, les affiches, le logo...Ce dernier, conçu en 1991 par Sofa (devenue Euro RSCG Design), associe la Seine, donc l'Ile-de-France, au visage d'une entreprise humaine. La RATP, jugeant que son service n'est pas satisfaisant, opte pour une communication volontairement sobre et discrète. Euro RSCG Scher Lafarge sera sollicité pour réaliser des campagnes sans saveur autour de la signature «l'esprit libre». Lorsqu'Euro RSCG BETC gagne le budget, en 1995, la régie, dont la qualité de service progresse, renoue avec le dynamisme. Elle reprend la parole avec une signature tournée vers le voyageur: «la meilleure façon d'avancer». Les campagnes confortent les clients dans leurs choix d'un transport fluide, pratique, écologique. Elles valorisent les «urbains malins», qui ont compris l'intérêt du métro, du bus ou du RER. Les créatifs de l'agence s'en donnent à cœur joie, raflant de nombreux prix. Quelques perles: le M des entrées de métro assorti d'un «Voilà ce qu'on lui, nous, à la pollution», «Métro fluide» inscrit sur le panneau d'affichage d'un périphérique saturé, ou Zorro bondissant du métro «Sans stresser». On est effectivement loin du morne «Métro-boulot-dodo».


On peut voir que dans le vocabulaire même de la journaliste ou dans celui de ses interviewés, l'idéologie libérale coule à flot avec ces notions de compétition, de consommateurs ou plus simplement le rapprochement inévitable entre Image et Publicité. Même, au début de l'article, quand la RATP faisait de l'information, la journaliste nomme cela une «campagne» (terme hérité du vocabulaire de la guerre).

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Dès 1976 les canadiens s'étaient fait une raison avec ce film publicitaire ensoleillé. Nul doute que Jean-Michel Bertrand et ses petits collègues d'Ecom en furent largement inspiré. Made in Montréal :

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Le dernière campagne de la RATP, en 2008, refait sonner les clairons du marketing après 13 ans d'absence à la télévision (un court article vous en dit plus sur le site d'Étapes) :

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Pour compléter au sujet des dérives et des carences des entreprises publiques, aller faire une visite du côté d'Étienne Mineur qui s'en prend régulièrement à la SNCF.