Workshop à lIUP Arts Appliqués de Montauban, compte-rendu
Geoffroy Pithon - dimanche 14 octobre 2012 - Pédagogie
Il faisait la semaine dernière à Toulouse une douceur à faire pâlir un Brestois. Jai depuis rejoins la pluie nantaise et une fraîcheur presque hivernale, avec de bons souvenirs en tête des quelques jours passés avec Adrien et les étudiants de lIUP Arts appliqués de Montauban. Ce workshop portait sur laffiche et lespace public, en confrontant également les étudiants à une pratique collective et à cette immuable économie de temps et de moyens. Vaste programme.
Pour le temps : quatre jours ; pour les moyens : lapproche manuelle, pinceau, encre, crayons, colle
Le passage du May, la place Saint-Georges, la place Saint-Pierre.
Au départ, c'est une quarantaine détudiants issus des trois niveaux du secteur Graphisme / Édition (L3, M1 et M2) qui se sont répartis en onze groupes (mélangeant au passage les niveaux) pour déterminer, en amont de notre venue, des lieux plus ou moins précis du centre-ville de Toulouse comme des sujets dintervention. Ces choix se sont fait avec la complicité de Cathy Pons du CAUE 31 qui a pu leur livrer des présentations historiques, sociologiques, urbanistiques des lieux en question. De quoi fournir à chacun un bagage culturel pouvant les amener à un positionnement singulier ; un positionnement de graphiste puisquil sagissait daboutir à des affiches, pouvant être exposées in situ (exposition éphémère sur le lieu choisi).
Lundi, premier jour de latelier, après une petite présentation de notre travail, nous avons convié chaque groupe à réfléchir sur une série de cinq à six mots, champ lexical du lieu synthétisant (et subjectivant) le travail dobservation préparatoire. Le mot appelle limage, et pour introduire ainsi le graphisme et laffiche, un démarrage par lexercice de léchelle réduite : à partir desquisses très rapides sur de petits formats (A6), on peut déjà appréhender la forme qui attrape lil, la tension qui surprend, lidée qui vient.
Pour jouer le jeu de ce petit moment de spontanéité, il ne faut pas passer trop de temps sur le dessin mais davantage chercher une sorte de quantité dexpressions et de variété de messages. Ce temps doit aussi déjà être collectif, où une composition graphique à peine entamée peut être saisie par un voisin, qui y posera son grain de sel.
Des idées? des envies?
Si lintention de ce temps préliminaire est d'entrevoir des pistes possibles, il est aussi un moment d'expérimentation plastique où viennent à la fois se confronter le dessin automatique, le plaisir des formes et le jeu des mots. C'est aussi là que certains groupes pourront se rendre compte que laffiche «classique» nest pas forcément le support le plus adapté à leurs envies.
Mise en uvre
Le lendemain, rebondissant sur les bribes de la veille, on se met à choisir collectivement la ou les bonnes directions à emprunter. Il est aussi temps d'imaginer et de se projeter en grand ; quels outils adaptés? Quels moyens à mettre en uvre pour se rapprocher de la réponse graphique envisagée?
À cheval sur la deuxième et la troisième journée, nous suivons chaque groupe dans leur tentative de mettre en place une cohérence graphique, un geste fort et affirmé avec cette contrainte de lexemplaire unique à prendre comme une ouverture.
Tantôt de nouveau croquis préparatoires sont de guise pour affiner la composition dune idée de départ, tantôt c'est avec lusage dun outil moyennement maîtrisé, à léchelle 1, quon provoque une bonne ou mauvaise surprise sur laquelle rebondir. On rebondit, encore, et on accompagne jusqu'au bout certains groupes quand dautres avancent vite avec beaucoup autonomie.
Le jeudi, dernier jour du workshop, nous accompagnons les groupes dans le centre-ville de Toulouse pour capturer l'image de leur installation éphémère. Patchwork dynamique et regards colorés que ces étudiants portent sur une ville pas forcément si rose.
Rendez-vous au 7e étage du parking de la place des Carmes, Julie Rassat, Lucille Lissandre, Anis Mustapha
Le surprenant panorama sur la ville disponible depuis le toit du parking Vincy des Carmes a été le point de départ de ce groupe. Leur idée : proposer une banderole, signalétique géante, comme une invitation à venir occuper ce lieu le temps d'un rendez-vous improvisé sur fond de point de vue imprenable sur Toulouse. L'amplitude de l'installation n'a pas laissé les commerçants et les passants indifférents, suscitant l'intérêt ainsi que lincompréhension du rapide montage-démontage, lié au fait que sur ce parking privé (Vincy) un badaud n'a pas le droit de se promener à sa guise.
L'efficacité d'un dessin simple, bien réalisé et grandiloquent, avec une bonne capacité du groupe à anticiper l'installation ont permis à leur idée de trouver une vraie crédibilité.
En complément et dans le même esprit graphique, ils ont produit des petits tracts à semer dans le quartier, invitant au même rendez-vous de manière tout aussi «pirate».
Les bons tuyaux de la rue de la Pomme, Claire Brochier, Muriel Claverie et C. L.
Ces étudiantes se sont sont focalisées sur un cadrage esthétique, un petit bout de ville sur lequel elles ont porté leur regard ; mélange atypique de couleurs, de bas-relief, de matières. Avant de sen emparer en investissant les gouttières et autre tuyauterie de cette façade pour glisser un dialogue graphique plutôt cocasse, entre papotages de voisins, humour simple et dessin à la sauvette.
En partant dune observation plastique plutôt quurbaine ou sociale, il leur a été difficile de trouver un sens à leur intervention. Puis vint cette idée danthropomorphisme à partir des tuyaux, idée qui est peut-être restée un peu trop «sage» et graphiquement fragile pour prendre une tournure plus vivante encore.
Rue Baour Lormian, le tag et nous, Justine Le Ster, Justine Braida et Mylène Roumestan
Le tag, expression d'une libre et heureuse appropriation de la ville ou pollution visuelle commise par des délinquants mégalos? De cette problématique à première vue consensuelle, ces trois étudiantes, aux positions un peu divergentes sur la question, ont mis un peu de temps à se débloquer didées peut-être trop anecdotiques.
Au final, leur idée simple et sincère de broder sur tissu leur petit «moi», un tag parmi dautres et singulier à la fois, travaillé avec raffinement dans le détail du fil cotonneux, affirmant un parti pris plus silencieux et vraiment amusant. Le résultat plastique est de qualité, chacune ayant travaillé une typographie lui ressemblant. Laccrochage sest fait sur un des rares espaces non nettoyés du centre ville, mais un lieu peut-être plus intimiste et un accrochage mieux conçu aurait pu augmenter l'effet de discordance avec le langage tag classique.
Au croisement entre la rue Saint-Rome Du flux, du bruit et le passage du May Une délivrance, Nicolas Lamy, Xiazi Zhang et Marie Bodilis
C'est en travaillant sur le contraste entre une artère marchande, animée et bruyante, et la ruelle isolée, étroite et silencieuse, que ce groupe sest mis à travailler sur le motif. Leur appropriation des sensations provoquées par ces deux rues sest fait au moyen dune représentation graphique abstraite, jouant sur des effets optiques et des couleurs fluos. Ainsi, placées en dyptique sur langle dun immeuble au croisement, elles fonctionnent comme deux plaques de rues, proposant une information sensorielle surprenante et qui a aussi une valeur dopinion sur lhyper-centre-ville. Au-delà de lagréable distraction visuelle!
La cour de Toto, cocon urbain, Nathalie Wiart, Léa Rivalland, Clément Trémoulhac et Lise Niaussat
Toto, un magasin de textile, se trouve au fond de la cour dun vieil immeuble du centre-ville, rue de Saint-Rome. Lieu inattendu, accessible uniquement le jour aux heures d'ouverture du magasin, cette cour dévoile aussi un décor plutôt atypique avec un balcon presque théâtral et un jeu de lumière particulier.
Les étudiants sont eux aussi parti dune impression de contraste, dun paradoxe entre le côté cocon (mais pas exempt de baroque) de ce renfoncement et la jungle urbaine environnante. Le groupe a eu du mal à trouver un accord graphique, optant finalement pour un travail de composition par accumulation, collage, mélangeant divers expressions visuelles à la manière de strates. Un «bazar» fonctionnant pour lillustration de la jungle mais moins pour le cocon.
Le chantier de ré-aménagement du square Charles de Gaulle, Anouck Fourès, Charlotte Cathala et Paul-Antoine Langlois
Il est loisible de penser que le centre-ville de Toulouse est en chantier au vu des nombreux travaux de réaménagements. Portant un regard critique et spontané sur ce que témoignent ces changements (standardisation et «sécurisation» de l'espace publique, déboisement ) ces étudiants ont proposé une série d'affiches pensées à la manière de détournements de supports publicitaires ; les messages lisses et langue de bois de ces derniers se retrouvent malmenés par lajout dun phrasé direct et cynique, révélant la futilité de certains discours institutionnels. Lesprit des compositions en typo linéale est bien vu mais lintervention fluo, manuelle, manque un peu de percussion, pas assez «allumée» pour mettre le feu aux poudres!
La place Saint Georges, Gaëlle Ferrère, Guillaume Bollier, Pauline Gourret et Coline Girard
En visitant la place Saint-Georges, on peut penser de prime abord qu'il s'agit d'un endroit plutôt vivant, convivial et populaire. Ce serait sans remarquer le nombre de brasseries entourant le «petit» espace de jeu pour enfants et les quelques boutiques chiques situées là. Cette place n'est pas vraiment lendroit pour se poser autre part quà une terrasse de café , cest en tout cas ce que lurbanisme judicieusement réfléchi «offre» ; aucun banc et des toutes petites pelouses difficiles daccès. Cest avec une «cartographie sensible» que ces étudiants ont tenté d'attirer le regard sur l'embourgeoisement et la coercition de cet espace public typiquement «bobo». Leur graphisme est un entre deux entre les cartes géographiques classiques et les cartes subjectives (cf celles de Mathias Poisson), qui peut rappeler lesthétique Memphis Design. La fonction même de la carte nest pas tout à fait assumé, la légende discrète manque daffirmation ; au final on peut voir cette image comme une composition abstraite, ou un plateau de jeu.
Quartier Saint-Cyprien, «ten pleure tellement cest bien», Axelle Gacon, Lola Tinnirello, Margaux Valery et Téo NGuyen
Ce quartier, sur la rive gauche de la Garonne faisant donc face au centre ville est réputé pour être resté populaire et cosmopolite. La gentrifugeuse nest apparemment pas passée. Cest ainsi un quartier vivant, que ses habitants sont fiers dhabiter.
À travers un travail graphique pétillant et généreux, les étudiants ont voulu à leur manière déclarer leur flamme à Saint-Cyprien, mettant aussi en scène certaines contradictions et poussant de manière excentrique la relation passionnelle. Laffichage sest fait sur la place de lEstrapade, lieu de passage important, sur la vitrine dun commerce récemment fermé ; cette fermeture est-elle un signe avant coureur dun changement? Les étudiants répondent à cela avec une action de résistante joyeuse et enthousiasmante.
La friche des Amidonniers, Maëva Chaline, Cyrielle Eyraud et Anaïs Belchun (M2)
La Garonne sest retiré récemment de quelques mètres pour laisser une fine bande de terre entre leau et le mur denceinte protégeant des crues le quartier des Amidonniers. Ce terrain sauvage a reçu des campements illégaux (expulsés depuis), et reste un lieu étonnant dans une ville où tout est propre avec une fonction déterminée.
Pour indiquer la présence de cette friche, et témoigner de leur envie de la conserver ainsi, les étudiantes ont voulu sadresser aux usagers de la promenade des Amidonniers en dressant une affiche-banderole à cheval sur un muret, au-dessus duquel, quand on se penche, on découvre la friche et le (seul) escalier permettant dy accéder. Lidée «douce» est intéressante mais la réalisation technique na pas fonctionné, le vent ayant un peu gâché la fête ; le dessin graphique un jeu de motifs sentrecroisant avec la typo en réserve aurait quant à lui mérité un peu plus de maturation pour être pleinement réussi.
La place Saint-Pierre, lieu de cultes, Morgane Leraux, Cyrielle Aranud, Flora Lopez et Étienne Bourcy
Sur cette place se croisent des cultures a priori éloignées ; la culture religieuse avec la grande église Saint-Pierre des Chartreux (associée à la «grande» culture puisque léglise accueille une programmation de musique classique) et la culture «de la biture» avec la présence de nombreux bars, qui font de cette place le lieu privilégié des (très nombreux) supporters de rugby les soirs de matchs.
Samusant de cet étonnant voisinage, les étudiants ont composé avec malice une grande affiche où se mêlent objets du catholicisme et objets sortis des bars, ainsi apparait une sorte de religion hybride et propre à ce lieu. Paradis dans le ciel ou sur terre, peut-être ne faudrait-il pas choisir? Le fluo souligne cette proposition hédoniste. Le propos est léger mais la réalisation soignée.
La prairie des Filtres, un lieu agréable et une longue histoire, Caroline Varon, Séréna Obligato, Angélique Brunel et Théo Lavit
En bord de Garonne, rive gauche, à deux pas du centre-ville, le parc de la prairie des Filtres offre un cadre idéal pour des pic-nics et autres escapades reposantes. Elle est aussi riche dune histoire à rebondissement (cf Wikipédia).
Le groupe a eu envie de marquer dun signe graphique lentrée du parc ; en multipliant les idées graphiques, très plastiques, ils sont arrivés à lidée de représenter lhistoire de la prairie à la manière de strates successives et colorées, formant une chose vivante et curieuse, un signe mystérieux dans lequel on rentre bien volontiers.
L'ensemble des originaux, accompagnés des photos des affiches in-situ et de commentaires sur les lieux, seront présentés du 10 au 21 décembre à la fabrique toulousaine (Arche Marengo, 1, allée Jacques Chaban-Delmas). Vernissage le 14 décembre.
Nous remercions Emmanuelle Sans pour cette invitation ainsi que les étudiants qui ont bien joué le jeu pour bosser collectivement et en peu de temps, et on sait que ce n'est pas évident. Belle dynamique!