26 avril 2008 — Une campagne d’intérêt public
Un graffiti mot d’ordre : « Trottoir, pas crottoir »
Il y a des quartiers où il vaut mieux regarder où on pose les pieds.
Je me rends compte de ce tag. La première fois que je l’ai vu, j’ai cru à une action isolée, un ras-le-bol de riverain.
En 2000, une plasticienne brestoise avait fait tracer dans la ville une ligne bleue de cinquante centimètres de large sur sept kilomètres sur le tracé des anciennes fortifications de la ville. À cette époque, on avait utilisé cette ligne pour s’autoriser le marquage de la chaussée pour toutes sortes de messages, insultes, revendications, invitations. Et puis les trottoirs se sont tus.
Mais c’était sans compter l’ingénuité de la mairie qui, dans une problématique bien nationale, a eu recours à des techniques novatrices de street marketing1.
Car, quoi de mieux pour la population, pour responsabiliser, pour modifier durablement les comportements que de peindre sur les trottoirs « Trottoir, pas crottoir ». Le jeu de mot prête à sourire, c’est déjà ça.
L’affiche qui accompagne cette action « coup de poing » représente un chien près du pictogramme et stipule « Mon maître ramasse ». J’aime ce genre de petite phrase ouverte qui ne donne pas tout de suite sa substantifique moelle. D’abord faire parler le chien, c’est une idée que tous les concepteurs professionnels de faire-part ne dénierons pas, c’est chic. Ensuite, quant à savoir ce que ramasse le maître… la merde de son cabot, une prune, une raclée par un membre du service municipal de propreté ?
Déjà en 2003, les sacs mis à disposition des propriétaires consciencieux comportait déjà la mention « J’aime mon quartier, je ramasse ». Il ne fait pas bon être propriétaire de chien à Brest.
Une action comme celle-ci, empruntant le ton du reproche voire du mot d’ordre, utilisant des techniques propres au marketing le plus agressif, sera sûrement sans effet et c’est tant mieux.
Quand l’individualisme et la solitude touche de plein fouet les concentrations urbaines, le rôle des mairies n’est-il pas de promouvoir par tous les moyens le lien social ? Et puis qu’est-ce qu’un chien sinon un créateur de partage, un émulseur de rencontres ?
Comment intimer l’ordre de garder les trottoirs propres de toutes déjections canines en peignant, à la peinture – biodégradable –, sur les mêmes trottoirs des logotypes empruntant les signes du pochoir et de la saleté ? Cette action est une énigme du sens.
Cette campagne, pourchassant une transformation sociale, est significative d’une partie de ce que l’on attend d’une mairie : qu’elle contraigne le comportement de ses administrés. En d’autres termes, qu’elle fasse de la prévention. La communication – entendons ici le mot d’ordre – est la réponse la plus facile à mettre en œuvre et aussi la plus inefficace, mais c’est en tout cas celle qui porte le moins en conséquence, si elle n’a que peu d’effet, elle est visible et donne à voir aux électeurs que la mairie
(a) a conscience du problème,
(b) a trouvé les fautifs et
(c) donne la solution.
Dans ces discours normatifs, la mairie définit aussi ce qu’elle pense être bien. Elle caractérise les bons comportements et, en défonce, elle stigmatise la perversion. Ici quand elle affirme «J’aime mon quartier, je ramasse», elle dit que si c’est propre, c’est que l’on aime et donc que la réciproque est vraie. La saleté étant une appréciation subjective…
Le risque est, sous couvert de respect, de vider la ville de tout ce qui fait le mouvement et l’expression de celle-ci.