Avis au citoyen

La démocratie est présentée comme un modèle absolu d’organisation politique, le droit ultime du peuple. Depuis son invention grecque, cette idée est une référence intarissable. Il faut cependant rappeler qu’avant d’être formalisée sous des formes d’organisations sociétales, le mot veut avant tout dire le gouvernement du peuple par le peuple, c’est-à-dire, selon Jacques Rancière1, « le pouvoir propre à ceux qui n’ont pas plus de titre à gouverner qu’à être gouvernés ».

Sous cette idée se promène un idéal que les penseurs ont de cesse de questionner : il enflamme ou effraye, ses formes sont ouvertes et sa mise en oeuvre dans un chantier perpétuel2.
Pourtant c’est avec le panache des chefs de guerre que nos élites brandissent « démocratie », en toute confiance, en toute impunité, et n’épargnent pas leurs efforts et les transgressions pour arriver à imposer son nom. Il leur tombe de la bouche à chaque fois qu’ils doivent clamer la grandeur de leurs missions.
Et malencontreusement, celui là-même qui a la chance de vivre en démocratie, ce peuple de citoyens « libres et égaux en droits », fait subir un profond désaveu aux pouvoirs; la démocratie représentative est dite en crise, le courant ne passe plus entre le peuple et ses élites.

Défaut de communication ?

Si la communication est souvent considérée comme un nécessaire appareil de la démocratie ou plus encore, une condition de celle-ci3, c’est aussi une des causes relevées de ses dysfonctionnements. D’un côté on éloigne les centres de décisions, agglomérations de villes, régions, Europe, de l’autre on multiplie les publications et les messages. Avec les « nouvelles technologies » accompagnant un vocabulaire renouvelé on pense pouvoir redonner du sens au système.
Plus rapides, plus faciles d’accès, plus ludiques, l’information et la communication seraient mieux partagées et permettraient une implication plus efficace du citoyen. Ainsi les NTIC (nouvelles technologies de l’information) auraient les moyens de relier les citoyens et les politiques, ces derniers utilisant les derniers outils à la mode pour tenter de simuler un lien4 – blog, forum, site, chat… Au royaume de la participation, qui est le roi ? C’est la concertation. Celle-ci n’a aucune obligation juridique, c’est donc l’outil idéal de la démocratie dite participative, sans aucun risque, puisque que tous les pouvoirs restent bien gardés.
Les élites produisent et sur-produisent de la « communication » comme pour mieux cacher l’espace qui les sépare du peuple. C’est comme cela qu’ils entendent désormais conserver leurs pouvoirs, qu’ils préfèrent soigner leur image pour ne pas avoir à traiter les véritables maux de société. Le paradigme étant atteint au moment où la communication n’est plus un outil mais une véritable idéologie, une fin en soi.

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Père Ubu
Et vous, mes amis, venez dîner !
Je vous ouvre aujourd’hui les portes du palais,
veuillez faire honneur à ma table !

Le peuple
Entrons ! Entrons ! Vive le Père Ubu !
C’est le plus noble des souverains !
5
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1 Jacques Rancière, La Haine de la démocratie, La Fabrique, 2005.
2
La démocratie a plus à voir avec un devenir qu’avec une forme définie de société.
3
L’agenda de Lisbonne de 2000 fait de la communication l’un des moteurs de la construction européenne tandis que pour l’ONU c’est un droit universel.
4
Mêmes les « nouveaux contestataires » y trouvent leur bonheur, en toute vacuité, par voix de pétitions, d’harcèlements par courriers électroniques, de sites payants d’information, de labels et autres prix, de votes ; le monde des NTIC est une véritable révolution au sens premier du terme (mouvement en courbe fermée).
5
Alfred Jarry, Ubu roi, Gallimard, 1896.