3 mai 2008 — Un logotype de conseil régional

Croyances sémiologico-publicitaires


Sur le site du Conseil régional d’Île-de-France, on peut trouver une petit information au sujet du logotype de la région qui s’est vu évoluer il y a peu de temps.



« La Région a fait évoluer son logo en 2005 pour assurer une meilleure visibilité à l’institution régionale, dont l’action prend de plus en plus d’importance dans la vie des Franciliens.
Ce logo toiletté, simplifié, est monochrome, d’un rouge orangé puissant, qui modernise et dynamise l’image de l’institution.
L’étoile à huit branches symbolise les huit départements franciliens et traduit le rayonnement de la région. La mise en place de cette nouvelle identité visuelle vise à faire émerger l’Île-de-France comme une véritable marque territoriale et institutionnelle. »



Analysons succinctement, phrase après phrase, ce que nous raconte cette « information » qui indique bien plus de choses que pourrait le révéler le logotype.
« L’institution régionale prend de plus en plus de place dans la vie des Franciliens ». Rien n’argumente cette revendication aux allures de grande « vérité » mais passons…
« L’institution régionale prend de plus en plus de place dans la vie des Franciliens ». Donc «La Région a fait évoluer son logo pour assurer une meilleure visibilité.» Logique implacable. Je suis plus présent donc je dois être plus visible. Le logotype fonctionne comme une preuve par l’image, le logo figure la présence de l’institution.
Cette rhétorique fonctionne sur un amalgame entre « présence par l’action » – ce qui est la réalité de l’activité du Conseil régional – et « présence par l’image » – ce qui est l’image de l’activité du Conseil régional. C’est précisément la distinction qu’observe Jean-Pierre Grunfeld entre preuve et commentaire, entre système de communication de preuves et système de communication de commentaires1.
Le logotype est un commentaire. Ce n’est pas l’image provoquée directement par l’action mais c’est une image rapportée, après l’action, en parallèle de l’action. Cet automatisme « Je fais une action donc je le dis – en apposant mon logotype » n’est en fait pas logique pour deux raisons.
Tout d’abord il oublie que l’image provoquée directement par l’action a elle-même un sens. Par exemple il y a des travaux de voiries dans la ville : des ouvriers s’activent, des machines sont sur place, il y a du bruit, le quartier reçoit une signalétique temporaire de chantier, etc. On peut prendre un autre exemple avec les transports en commun : le prix est très bas par rapport aux autres transports, le service est assez confortable, les déplacements sont rapides et pratiques, etc. Toutes ces choses que l’on observe de manière assez intuitive ont une signification directe : ces observations nous signifient notre confort de vie et son évolution. C’est là le sens intrinsèque de ces observations. L’environnement réel renvoie donc directement une image faite de signes observables2.
La deuxième chose à observer pour discréditer cet automatisme du logotype c’est l’iconodulisme3 des politiques. Bien que non éduqués à l’image et à ses significations, ceux-ci raisonnent en transférant à leurs situations les automatismes qui les entourent : « Mon concurrent possède un logotype ? Il me faut un logo ! », « Je veux que le peuple ait connaissance d’un certain nombre de mes activités le concernant ? Il me faut un logo ! » L’image graphique, comme l’entendent les politiques, semble être l’unique voie pour renvoyer une image auprès des citadins. Cette image graphique ne possède pas tant de pouvoir car selon le contexte de sa réception, tout son sens sémiologique peut s’écrouler voire se retourner. Le contexte est trop déterminant pour imaginer qu’un simple petit signe puisse renvoyer avec précision un sens déterminé !

Ainsi, la deuxième phrase semble être désespérée : « Ce logo toiletté, simplifié, est monochrome, d’un rouge orangé puissant, qui modernise et dynamise l’image de l’institution. » On plaque une réflexion sémiologique simplette sur une ambition de communication ! Les choses dans leurs contextes sont éminemment plus complexes pour qu’à un quelconque moment un citadin puisse voir dans ce logo une puissance, une dynamique, l’image d’une institution fabuleuse… Voilà l’iconodulie à son paroxysme.

La croyance continue à bon rythme avec une troisième explication : « L’étoile à huit branches symbolise les huit départements franciliens et traduit le rayonnement de la région. » Une petite surenchère de sémiologie où on tente de nous vendre un symbole universel comme signifiant avec précision une entité bien précise.
À y voir de plus près il nous est très difficile de savoir précisément ce qu’est cette entité, ce que fait la Région (le Conseil régional). Donc au moment d’incarner ce flou dans une image… on ne peut que faire un signe au sens flou ! Et donc, très logiquement, l’image de l’institution est floue.
Ce problème d’identité des collectivités territoriales s’est posé au moment de la décentralisation4. C’était alors juste de remarquer – et on le remarque toujours aujourd’hui – que l’action des collectivités était difficile à percevoir : qui fait quoi ? comment ? où ? pour qui ? avec qui ?… À partir du moment où ces collectivités ont eu le sentiment qu’elles devaient faire « leurs preuves » elles se sont préoccupées de leur « image » – par un glissement rhétorique non-logique comme je l’ai montré plus haut. Et c’est comme cela qu’elles ont recyclé les méthodes des entreprises privées  !

La dernière phrase, en toute simplicité : «La mise en place de cette nouvelle identité visuelle vise à faire émerger l’Île-de-France comme une véritable marque territoriale et institutionnelle».
Voilà, la messe est dite, ils ne le cachent même pas, la collectivité doit être une « véritable marque » ! La collectivité doit avoir une « véritable image de marque » !
Il est clair que, dans l’utilisation qui en est faite ici, le terme « marque » renvoie à la «marque commerciale» et ainsi à un environnement de concurrence. L’adjectif « véritable » de son côté s’oppose à l’idée de copie, de sous-marque.
On est ainsi plongé dans un environnement de marché, où la collectivité doit savoir rivaliser avec les armes modernes – c’est à dire celle empruntée au commerce [sic] – contre d’autres collectivités, d’autres politiques, d’autres citoyens…
On se croirait de retour au Moyen-Âge où les armoiries avaient le rôle attribué aux logos aujourd’hui.

Cette vision de la situation inter-collectivités est très réductrice et toute empreinte de l’idéologie néolibérale. Cette vision laisse en pâture l’image que les citoyens pouvaient avoir de leurs institutions et de leurs territoires pour en faire « émerger » une nouvelle, plus «dynamique». À l’origine, l’image que les citoyens se font de leurs institutions est donc, je l’ai expliqué, implicitement véhiculée dans les activités que les institutions mènent au quotidien. La vivacité de cette « image implicite » est délicate à mesurer.
En tout cas elle semble n’être d’aucun intérêt à ceux qui s’imaginent être aux gouvernails d’entreprises – certes « spécialisées » dans le social – et qui doivent faire leurs preuves de façon « voyante », justifier leur présence en laissant une marque et en usant également, de façon abondante, de la publicité.

À vouloir être vu partout, on se dilue dans le commun et l’indifférence.


1 Cf. Un entretien avec Jean-Pierrre Grunfeld.
2
Ces signes sont autant d’éléments qui permettent au citadin de comprendre sa situation et d’appréhender son lieu de vie. Une action qui touche le citadin possède des signes sur lesquels on peut intervenir pour changer la compréhension que le citadin va avoir. Cette intervention peut avoir une utilité fonctionnelle, elle peut améliorer la perception du citadin sur sa ville, elle peut être limitée à un rôle publicitaire (ce qui est souvent le cas)…
3
Courant de pensée en faveur des icônes et de leur vénération.

4
Cf. Extension du domaine de la communication politique locale.