6 mai 2008 — Un journal de conseil régional

La Marianne d’or

11 h 00, je sors faire quelques courses, je regarde machinalement le courrier sachant très bien que le facteur ne passe que vers midi. Des prospectus. Je m’apprête à mettre le tout dans la poubelle jaune, quand, entre deux pubs pour des magasins d’électroménager, je remarque le journal du Conseil régional d’Île-de-France. Même format que les pubs, un grammage quasiment identique et un touché semblable. À en croire sa place au milieu des réclames, on en déduit que le distributeur doit aussi être le même.
Au format équivalent au journaux gratuits du métro, ce journal est imprimé à 4.880.000 exemplaires sur du papier recyclé. À ce niveau là ce n’est plus un souci écolo, c’est de l’indécence. La forme et la maquette équivalente aux gratuits est peut-être due au fait que la conception de celle-ci est l’œuvre de Rampazzo et Associés1.



Le logo est présent uniquement sur la couverture, il n’y a pas d’éditorial du président du Conseil régional, et puis, hormis ce logo, rien n’indique explicitement l’émetteur du journal. Cette dépolitisation de l’objet qui n’est que de surface – l’ensemble du journal vantant les mérites des réalisations du Conseil Régional – est entériné par la présence de la tribune politique à la fin de la publication2.
Si on en croit les organisateurs qui ont attribué une Marianne d’or3 [sic] au journal, c’est cette dépolitisation qui plaît. « Le bimestriel Île-de-France est un vrai journal, avec un rubriquage et une maquette dynamiques, mais sans la photo du président à toutes les pages. Il n’y a même pas d’édito, mais beaucoup d’informations pratiques, de reportages, d’expressions des franciliens, sans oublier la parole – et ils la prennent – aux différentes composantes politiques du Conseil régional. »
Ce journal, aujourd’hui le seizième numéro, est très récent. Béatrice Jérôme explique que « après leur arrivée à la tête des régions, il y a un an, les socialistes ont besoin de promouvoir leur action et, pour certains d’entre eux, de se forger une image »4.
Elle nous explique plus loin, à propos du journal du Conseil régional, les raisons évoquées à sa conception et réalisation : « Nous devions trouver une façon de rendre compte de notre bilan, explique Hervé Marchal, directeur de la communication d’Île-de-France. La première région de France était l’une des rares à ne pas disposer d’un journal. Ce ne sera plus le cas à l’automne. Elle devrait lancer un magazine qui sera distribué, à raison de six numéros par an, dans toutes les boîtes aux lettres de la région. Soit un tirage de 4.600.000 d’exemplaires, plus qu’aucun quotidien national. Ce sera un journal de 24 pages, grand format, sans publicité, qui donnera la parole aux Franciliens avec aussi deux pages consacrées à l’international, détaille M. Marchal. Coût prévu : 600.000 € par numéro sur un budget de communication de 15.000.000 en 2005 contre 13.500.000 en 2003. »
Pour ce qui est de donner la parole aux franciliens, il s’agit de petites photos d’habitants avec une phrase, rien n’explique pourquoi ce choix de personnes et de paroles. La parole est plus longuement donnée au responsable politique de la région dans des interviews. Il est amusant de penser que l’interviewé est aussi l’intervieweur, la schizophrénie est parfois utile. La «parole politique», elle, est reléguée au fond du journal dans une tribune offerte à chaque formation politique ayant une représentation au Conseil régional agrémentée d’une photo du porte-parole ainsi que le nombre de sièges occupé par le groupe. La place occupée par chaque tendance est proportionnelle aux nombres d’élus, elle est la même dans chaque numéro. Et si l’UMP et l’UDF se sont montrés réticents à la création de ce journal, le FN, lui, y a été favorable. La page d’opinions y est pour beaucoup car, d’après Première heure 5, « c’est bien pour cela que le FN avait soutenu cette initiative dès le début ne cachant pas qu’il y avait là une belle tribune à tenir. »

C’est en reprenant l’esprit publicitaire jusqu’à sa matérialité que les politiques pensent toucher le plus grand nombre. L’estime qu’ils nous portent se met alors à nue.



1
Ces derniers ont livré la dernière mouture de Libération et bon nombre de maquettes de journaux payés par la publicité. Ils expliquent ainsi leur « philosophie » : « Nous concevons notre métier comme la mise en valeur de messages et l’organisation de contenus. Pour nous, le graphisme est au service de la lecture : la forme sert le discours. »
2 Un raisonnement logique nous amène à penser que si un espace est réservé à « l’expression politique », le reste du journal, ce qui est en dehors de cette délimitation, est donc « non-politique ».
3
Le concours de la Marianne d’or a été créé en 1984 par l’ancien président de l’assemblée nationale, Edgar Faure, et Alain Trampogliéri, alors conseiller municipal à Saint-Tropez. Chaque année, il prétend récompenser les bonnes pratiques et initiatives des collectivités territoriales (communes, départements, régions…). C’est un des nombreux concours organisés par des élus, concernant des élus, consacrant des élus, patati-patata.

4
Béatrice Jérôme, « Les présidents de région redécouvrent les charmes de la communication », Le Monde, 10 mai 2005.

5
Première Heure, 14 octobre 2005, journal bi-hebdomadaire d’Île-de-France diffusé par abonnement.